La protection du secret des affaires se confronte régulièrement au droit à la preuve, notamment dans le cadre de contentieux commerciaux et de propriété intellectuelle. Deux décisions récentes illustrent les enjeux et les difficultés posés par cette articulation, mettant en lumière l’exigence de proportionnalité et les obligations pesant sur les parties qui invoquent la confidentialité.
L’équilibre délicat entre secret des affaires et droit à la preuve
L’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2025 (Cass. com., 5 févr. 2025, no 23-10953) marque une étape importante dans l’évolution de la reconnaissance du droit à la preuve. Il rappelle que, en vertu de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, la production d’éléments couverts par le secret des affaires peut être justifiée à condition que cette production soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte portée soit strictement proportionnée.
Dans cette affaire, une société franchiseur et son franchisé assignaient un concurrent pour concurrence déloyale et produisaient à l’appui de leur action un guide d’évaluation interne, explicitement confidentiel. La cour d’appel avait jugé que la divulgation de ce document était fautive, mais la Cour de cassation a censuré cette position. Elle estime que les juges du fond auraient dû vérifier si la production de ce document était indispensable à la démonstration de la concurrence déloyale et si l’atteinte au secret des affaires restait proportionnée.
Cette décision s’inscrit dans une tendance plus large visant à consacrer le droit à la preuve comme un principe fondamental et confirme que le secret des affaires ne saurait être une barrière absolue et doit, sous certaines conditions, céder devant l’impératif d’un procès équitable.
Le tri des éléments saisis dans un contentieux de contrefaçon
Un second arrêt, rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 25 octobre 2024 (TJ Paris, no 24/03351), illustre la complexité de la mise en œuvre du secret des affaires dans un contexte de saisie-contrefaçon. Dans cette affaire, une entreprise suspectée d’enfreindre des droits d’auteur sur un logiciel contestait la saisie d’un volume important de documents et demandait leur restitution ou leur mise sous séquestre.
Le tribunal a rejeté cette demande, rappelant que la société défenderesse devait justifier du caractère confidentiel des pièces concernées en respectant les prescriptions de l’article R. 153-3 du Code de commerce. Or, celle-ci s’est contentée de généralités sans précisions suffisantes sur la nature exacte du secret d’affaires invoqué.
Toutefois, le tribunal, conscient du volume élevé des documents saisis et de leur valeur potentiellement stratégique, a ordonné un tri par un « cercle de confidentialité » sous la supervision d’un juge. Cette solution pragmatique vise à concilier les exigences probatoires avec le respect du secret des affaires.
Un cadre encore perfectible
Ces deux décisions illustrent la difficulté pour les juges d’assurer un équilibre entre la protection du secret des affaires et le droit à la preuve. Si la proportionnalité est aujourd’hui consacrée comme critère essentiel, la mise en œuvre pratique reste complexe, notamment en raison du volume de documents concernés et des obligations probatoires pesant sur les parties.
Le jugement du TJ Paris met en lumière les limites de la réglementation actuelle sur le secret des affaires, qui impose des contraintes souvent lourdes aux entreprises souhaitant protéger leurs informations confidentielles. En effet, la démarche exigée par l’article R. 153-3 du Code de commerce peut s’avérer difficilement applicable lorsque les documents saisis sont nombreux et divers.
Ces difficultés appellent sans doute à une adaptation de la législation ou, à tout le moins, à une clarification de son application par la jurisprudence, afin de garantir une meilleure articulation entre protection des secrets d’affaires et droit à un procès équitable.