Vers une meilleure supervision des concentrations pour protéger l’innovation et la concurrence

L’Autorité de la concurrence s’interroge sur la manière d’encadrer les opérations de fusion et d’acquisition qui ne dépassent pas les seuils habituels de notification. Une consultation publique a été lancée pour explorer des mécanismes permettant d’intervenir dans ces situations non réglementées, où certaines transactions échappent aujourd’hui à toute surveillance.

Un problème de contrôle dans les secteurs innovants

Un enjeu central est celui des killer acquisitions, une stratégie où des grandes entreprises achètent des startups ou des petites sociétés innovantes, souvent pour empêcher l’émergence d’une nouvelle concurrence ou protéger leur position dominante. Ces transactions concernent fréquemment des entreprises dont le chiffre d’affaires est trop bas pour franchir les seuils de notification obligatoires, ce qui les met hors de portée des contrôles actuels. Cela crée des « angles morts » dans la régulation, particulièrement problématiques dans des secteurs dynamiques comme la technologie ou les biotechnologies.

Cette réflexion intervient après une décision clé de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En septembre 2024, celle-ci a limité l’utilisation de l’article 22 du règlement européen sur les concentrations, empêchant la Commission européenne d’intervenir sur des transactions en dessous des seuils nationaux ou européens (CJUE, 3 septembre 2024, Illumina/Grail). En conséquence, les autorités nationales cherchent de nouvelles approches pour combler cette lacune juridique.

L’Autorité de la concurrence a proposé trois solutions potentielles pour répondre à ce défi :

  1. Un droit d’intervention ciblé sur certaines opérations
    Une première option serait de permettre à l’Autorité de se saisir de certaines transactions, même si elles ne sont pas notifiées. Cela reposerait sur des critères spécifiques, comme l’impact potentiel sur la concurrence ou le secteur concerné. Toutefois, cette approche suscite des inquiétudes, notamment si l’intervention intervient après la réalisation de l’opération. Cela pourrait créer de l’incertitude juridique pour les entreprises, qui ne sauraient pas à l’avance si leur transaction risque d’être remise en question.

  2. Une obligation de notification pour les grandes entreprises dominantes
    Une autre piste envisagée consisterait à imposer aux entreprises ayant une position dominante ou un rôle central sur leur marché (comme les « contrôleurs d’accès » définis par le règlement sur les marchés numériques) de notifier systématiquement leurs acquisitions, quel que soit le montant de la transaction. Cette approche ciblerait des acteurs spécifiques, mais elle risque de créer une lourdeur administrative pour les entreprises concernées.

  3. S’appuyer sur les règles contre les abus de position dominante
    Enfin, l’Autorité envisage d’utiliser les dispositions actuelles du droit de la concurrence, comme celles relatives aux ententes ou aux abus de position dominante, pour sanctionner certaines transactions jugées anticoncurrentielles. Bien que cette option repose sur un cadre juridique existant, elle est critiquée pour son manque de prévisibilité : il est difficile de définir précisément les critères permettant de qualifier une opération de pratique anticoncurrentielle. Cela pourrait conduire à une forte insécurité pour les entreprises concernées.

La consultation publique représente une avancée majeure dans la réflexion sur l’évolution des mécanismes de contrôle des fusions et acquisitions. Elle reflète la volonté des autorités de mieux s’adapter à un environnement économique en mutation, tout en cherchant à préserver l’innovation et à protéger la concurrence face aux stratégies des grandes entreprises.